Ton asexualité n’est pas un problème
Article original par Aurora Lee Thornton ; traduit par LAbare / Florïan Lorenzetta
Thèmes : asexualité, rupture, sexe, neuroatypie.
Mon partenaire a rompu notre relation aujourd’hui, et le pire, c’est que ça ne me surprend même pas.
À deux heures du matin, je suis rentrée chez moi après avoir passé une semaine chez lui (deux vols de deux heures chacun pour traverser la moitié du pays). Vers six heures du soir, il m’a appelé pour me dire ceci :
« Je vais être franc avec toi : je sors avec quelqu’une’ d’autre. Donc ce qu’on avait ensemble, c’est fini. »
Il était chez cette autre personne (tout aussi éloignée) pour le dixième anniversaire de leur enfant. J’avais choisi le papier cadeau et les rubans pour lui la semaine dernière, et hier même je l’avais aidé à choisir une carte d’anniversaire. On était devant Netflix pendant qu’il emballait le cadeau.
Je lui ai souhaité bonne continuation au téléphone, mais je lui ai annoncé que j’allais raccrocher. Je ne savais pas, ne pouvais même pas imaginer quoi dire d’autre. J’en avais des nœuds à l’estomac et une boule dans la gorge. J’aurais voulu pouvoir dire que l’amour m’avait rendue aveugle, mais je ne me sentais pas aveugle du tout.
J’étais en colère dans les heures qui ont suivi. Cette autre personne était allée chez lui plus tôt dans le mois. C’était son ex. Je ne m’en suis pas inquiétée ; c’était dans sa nature de rester proche avec les gens, et il était resté proche de leur enfant. Je n’étais pas en colère contre lui. Je n’étais pas en colère contre moi-même, peut-être que j’aurais dû l’être. J’ai repensé au cheveu long que j’avais trouvé dans son lit. J’ai les cheveux courts. Je m’étais juste dit qu’il lui avait prêté la couette d’appoint que j’utilisais chez lui.
Je ne me sens pas idiote, mais j’avais eu l’impression que quelque chose n’allait pas dans notre relation. J’ai de l’anxiété, donc après lui en avoir parlé, je m’étais dit que ce n’était que le murmure sournois de mon esprit. Ça faisait un moment qu’il travaillait tard, et je m’étais juste dit qu’il était fatigué. Mais il n’a jamais vraiment rien fait pour me rassurer.
Je suis asexuelle. Pas lui. On en a parlé. La première fois que j’ai abordé le sujet, c’était la première fois que je m’en étais rendue compte. Il disait que ça ne le dérangeait pas, mais je pense que ce n’était pas vraiment le cas. Vu que le sexe ne me dérange pas, je pense qu’il n’a jamais vraiment compris. Quand je lui ai expliqué que je ne ressens d’attirance physique pour personne, pas même pour lui, je savais que ça le blesserait ; mais je n’ai fait qu’être honnête. Il lui a fallu du temps, mais il a fini par se rendre compte que j’étais vraiment asexuelle, et il a vraiment compris. Je le sais, on en a parlé.
Il m’a dit qu’il n’arrivait pas vraiment à concevoir que je puisse faire la différence entre mon amour pour lui et mon amour pour mes amies’, et qu’il avait l’impression que notre relation était plutôt une amitié. Hors du cadre des relations sexuelles, je ne savais pas comment lui expliquer que c’était différent. Que même si pour lui, ça avait l’air d’être la même chose, je savais que je l’aimais d’une autre manière. C’était romantique, pas platonique.
Notre relation a duré à peu près quatre ans. Je n’étais jamais sortie avec personne avant lui.
On sortait ensemble depuis quelques mois lorsque je me suis rendue compte que j’étais asexuelle. Je suis tombée sur quelqu’une’ qui parlait de son expérience de l’asexualité, et ça m’a conduit à creuser le sujet. Et puis j’ai eu ce moment de vérité, où on se rend compte que « ça porte un nom ». Si vous êtes queer vous aussi, vous savez ce dont je parle. Mon ex-partenaire est hétéro. Il n’a jamais eu ce moment de vérité. Il ne comprenait pas pourquoi je ressentais le besoin d’avoir une étiquette. J’ai essayé de lui expliquer, mais ça ne l’a jamais convaincu. Ça n’était pas de la méchanceté de sa part, et je comprends son point de vue : j’aimerais bien qu’on vive dans un monde où l’on accepte vraiment les gens au point que les étiquettes ne soient plus nécessaires. Mais le monde n’est pas ainsi, et c’est foutrement trop difficile d’expliquer à quelqu’une’ qui n’a jamais vécu ça ce que ça fait de savoir qu’on n’est pas seule’ à se retrouver dans une réalité qui est considérée comme une anomalie ou une déviance de la norme. On a parlé du fait que j’étais asexuelle. Il m’a demandé si j’étais sûre. J’étais plutôt certaine, et mes certitudes se sont renforcées au fil du temps. Je suis asexuelle.
On avait des rapports sexuels assez régulièrement. Comme je l’ai dit plus haut, le sexe ne me dérange pas ; j’apprécie beaucoup le sexe. Mais pour moi, c’est une chose à part, un acte que je ne range pas avec l’amour romantique. Il m’a dit que pour lui, le sexe et l’amour romantique vont de pair, et je comprenais sa vision des choses. J’avais peur que l’incompatibilité de nos orientations amène à une rupture ; ce n’était encore que la première année de notre relation. À partir de ce moment-là, je me suis toujours considérée comme asexuelle, sans dévier d’un pouce.
Je lui demandais parfois s’il me trouvait belle ; après lui avoir déclaré que je n’avais pas d’attirance physique pour lui, je me suis dit que ce n’était pas juste, donc j’ai arrêté de poser la question quand il s’est demandé pourquoi une personne asexuelle se souciait de savoir si elle était belle. Parce que je ne voulais pas remuer le couteau dans la plaie en lui rappelant que je n’avais pas ce type d’attirance pour lui. Je le trouvais quand même beau en costume. À l’époque, je ne connaissais pas la différence entre l’attirance physique et l’attirance esthétique, même si je trouvais certaines personnes belles et mignonnes. Mais rien de plus ; impossible de voir quiconque comme sexy, difficile de faire la différence entre plusieurs niveaux de beauté si ce n’était pas extrême. Je peux trouver certaines personnes moches, mais jamais répugnantes, parce que pour pouvoir ressentir de l’aversion physique envers quelqu’une’, il faudrait que je puisse ressentir de l’attirance physique.
Il me disait qu’il devait prendre le temps de réfléchir. J’entends par là, réfléchir à mon asexualité. Il essayait de voir si ça pouvait marcher entre nous. J’essayais de faire marcher ça entre nous. Il prenait de la distance. Il a toujours été un peu replié sur lui-même, donc je l’ai laissé faire. Une semaine avant ma dernière visite, je lui ai dit que j’étais impatiente à l’idée de le voir. Il n’a pas dit la même chose en retour. Je me suis dit qu’il avait simplement oublié, vu qu’il était très occupé et fatigué.
Je suis restée chez lui une semaine. J’ai fait quelques courses pour l’aider pendant qu’il était au boulot. On a commencé à faire l’amour le jour où je suis arrivée, mais j’étais si fatiguée que je commençais à m’endormir en plein milieu. Je me suis excusée, il m’a dit que je n’avais pas besoin de m’excuser. Je me sentais bien, et je n’ai pas eu le désir de relancer quoi que ce soit le reste de la semaine. Lui non plus. Je pensais qu’il était fatigué. Il jouait à Starcraft pendant que je regardais la télé. Je lui avais demandé de me rejoindre quand il le sentait, parce que je ne voulais pas le forcer à abandonner son passe-temps relaxant après plus de dix heures de boulot. On a regardé À tout jamais, une histoire de Cendrillon, un de mes films préférés, parce qu’il ne l’avait jamais vu, puis l’anime Seven Deadly Sins, parce qu’il ne l’avait pas vu non plus et qu’il n’y avait rien de particulier qu’il voulait regarder.
L’ex avec qui il est de nouveau en relation l’a contacté après avoir rompu d’une relation abusive. Il m’a montré les conversations qu’iels ont eu ensemble. Il n’y avait rien de particulier. L’ex était maintenant en train de refaire sa vie sur de meilleures bases. Il a toujours aimé aider les gens à s’extirper de situations difficiles, donc ça ne m’a pas dérangé. Je savais avant que l’on se mette ensemble qu’il avait eu cette relation. Cette personne méritait un homme comme lui capable de la soutenir. Quand on a commencé à sortir ensemble, je pensais que je ne serais jamais à la hauteur s’il lui venait l’envie de retenter leur relation. Je suppose que j’avais raison.
J’ai de l’anxiété. J’en étais enfin arrivée au point de notre relation où j’avais réussi à faire taire cette petite voix qui répétait que je n’étais pas à la hauteur, qu’il méritait mieux. J’en avais enfin fini avec l’angoisse que la moindre conversation sérieuse finisse en rupture. Je savais qu’il y avait toujours une possibilité que notre relation prenne fin, mais j’avais fini par dompter ma peur. Et j’avais confiance en lui.
Je suis asexuelle, et celui qui a été mon partenaire pendant quatre ans m’a déclaré que notre relation lui semblait plutôt être une amitié parce qu’elle n’avait pas de dimension sexuelle pour moi. Et lorsqu’on a rompu, il n’a pas appelé ça une relation ; il a dit « ce qu’on avait ensemble ». Je l’aime. De manière romantique. C’est ce que je lui ai dit, mais il ne semblait pas me croire. Et vous savez quoi ? Je le lui pardonne.
N’allez pas croire que je lui pardonne tout : il m’a fait un sale coup. Il m’a trompée avant que je ne vienne le voir (400 $ de billets d’avion) et ne m’a pas annoncé qu’il voulait rompre avant que je ne sois repartie à l’autre bout du pays (ma valise s’est perdue sur le chemin du retour, et comme elle n’était pas enregistrée, je ne vais certainement jamais la récupérer). Je veux lui mettre mon poing dans la gueule, et il n’y a aucun doute, il le mérite. Mais à part ça, je ne lui en veux pas.
J’ai appelé ma mère. Elle m’a suggéré de sortir le whisky. Jusqu’à ce que je lui parle, je n’avais pas ressenti le besoin de pleurer. Je me suis maquillée, j’ai enfilé une robe courte au décolleté plongeant, et je suis allé au ciné avec des potes. J’ai descendu deux verres, mais j’avais assez mangé et bu d’eau que je n’étais même pas pompette. Je me sentais fatiguée. Je me sens fatiguée, là maintenant. Épuisée. Les émotions vont certainement continuer à remonter pendant un moment. Mais je n’ai aucun regret.
J’ai été honnête sur mon identité et sur mes sentiments. J’ai essayé de lui faire comprendre, et ce n’est pas de ma faute s’il n’y est pas arrivé. Je l’aime encore maintenant. Je ne sais pas ce qu’il va en être de mes sessions de jeux de rôle via Skype du vendredi soir ; les joueureuses sont toustes ses amies’ à lui de la fac. Pendant ces cinq dernières années (lui et moi, on était amies’ pendant un an avant de nous mettre ensemble), je me suis rapprochée d’elleux et ai noué des liens d’amitié, mais il les connaissait avant moi et a passé plus de temps avec elleux. Et il participe à ces sessions, lui aussi. Je ne veux pas abandonner ces moments, mais je ne sais pas non plus quand je serai prête à être de nouveau en contact avec lui.
La rupture ne m’a pas mise en colère ; j’en suis triste, et cette relation me manquera. Mais ce n’est pas ça qui me met en colère ; ce qui me met en colère, c’est qu’il n’était pas assez mature pour rompre plus tôt. S’il avait voulu rompre pour commencer une nouvelle relation avec quelqu’une’ d’autre, je ne serais pas en colère : c’est la vie, il n’y a rien de mal à se dire les choses ainsi. Mais ce n’est pas ce qu’il m’a dit : il m’a dit qu’il avait déjà entamé une nouvelle relation. Donc il a attendu d’être dans une nouvelle relation avant de rompre la nôtre. Et ça, c’est un comportement de merde.
On avait déjà rompu une première fois, pour quelques mois. Je ne me souviens plus pourquoi, certainement la même raison que pour notre rupture définitive. Mais à l’époque, il n’était pas en train de me tromper, il était honnête. Il m’avait dit qu’il avait besoin d’un peu de temps pour réfléchir. Il n’y a rien de mal à cela, je n’étais pas en colère. Ça m’avait affectée, mais je n’étais pas en colère. C’était une décision mûrie. Ce n’était pas agréable, mais c’était la bonne décision à prendre. Mais cette rupture définitive, c’est l’inverse.
Ça y est, je me souviens pourquoi on avait rompu une première fois, mais je n’en dirai pas un mot ici, c’est sa vie privée. C’était tout de même la bonne décision à prendre.
Je ne regrette rien du tout : notre relation m’a aidée à mûrir de manière rapide et significative. Je suis plus assurée et confiante qu’il y a quatre ans. Quelqu’un lui a dit que j’étais un frein pour lui, vu que je suis plus jeune de quelques années. Il m’en a parlé. J’ai pensé que c’était pas très sympa de la part de cette personne, et je lui ai demandé ce qu’il en pensait. Il m’a dit que c’était plutôt l’inverse, qu’il m’aidait à le rattraper. Il m’a dit ça avec un sourire.
La moitié de notre relation s’est faite à distance, donc la plupart de nos conversations se sont faites par texto ou au téléphone. C’était plus simple pour moi de rester en contact avec lui que de rester en contact avec n’importe qui d’autre, y compris avec ma famille. J’ai un trouble de l’attention en plus de ma dépression et de mon anxiété : j’ai du mal à rester en contact avec les gens. Pour moi, c’était une agréable surprise de constater qu’on communiquait très naturellement. Mais le contact est devenu de plus en plus difficile ces derniers mois, je me rendais compte que c’était toujours moi qui lançait la conversation ; un vrai fossé temporel s’est creusé entre nous. Parfois un jour, parfois jusqu’à une semaine sans nous parler. Jamais plus, parce que je finissais toujours par le contacter. Je pensais que c’était la fatigue qui lui posait problème, mais je lui ai demandé s’il était en train de prendre de la distance. Mais j’ai déjà parlé de ça plus haut.
J’écris ce texte pour les autres personnes asexuelles qui se retrouveraient dans une relation avec une personne allosexuelle qui ne comprend pas. Sachez que vous devez être honnête sur votre identité asexuelle et vos sentiments. Parlez-en plusieurs fois s’il le faut. Ne fuyez pas si votre partenaire vous dit avoir besoin d’un peu de temps ; c’est peut-être vraiment juste le besoin d’un peu de temps. Mais faites-vous entendre : même si votre relation se finit de manière catastrophique, comme la mienne, votre amour-propre restera intact. Faites cela pour vous assurer de ne jamais en colère contre vous-même, de ne jamais avoir l’impression de ne pas être à la hauteur à cause de votre asexualité.
Je sais que mon histoire n’est pas aussi tragique que celle d’autres personnes asexuelles : il ne m’a pas agressée, il a essayé de m’écouter. Il a essayé de comprendre, vraiment. Mais ce n’est pas de ma faute s’il n’a pas été capable de concilier mon asexualité et son allosexualité, et je n’ai pas le sentiment d’avoir raté cette partie de notre relation. Je n’ai pas le sentiment de ne pas l’avoir assez aimé, car j’ai fait les efforts qu’il fallait. J’ai essayé de lui montrer les étoiles que j’avais dans les yeux, mais quand je lui ai dit qu’il était mon cosmos, il s’est dit que je n’étais avec lui que par charité. Je ne le déteste pas. Je le connais trop bien pour ça. Mais je suis déçue.
Je suis fière d’être asexuelle, et fière de ne pas avoir cédé sur ce point, même quand je voyais que ça faisait tanguer notre couple. On peut perdre une’ partenaire, mais quand c’est fini, on peut toujours compter sur nous-même. Ne cachez pas qui vous êtes à votre partenaire : s’iel ne peut pas vous accepter comme vous êtes, la relation se terminera forcément à un moment donné. Et vous vous demanderez si c’était de votre faute, si vous n’étiez pas à la hauteur, et c’est rarement ça le problème.
Mon ex-partenaire a probablement rompu notre relation à cause de mon asexualité, mais je ne considère pas mon asexualité comme un problème. Et je pense que les gens devraient le savoir elleux aussi.