Pour la semaine de visibilité du spectre aromantique (du 16 au 22 février), nous avons publié en avant-première des articles du numéro sur l’aromantisme, que vous pouvez retrouver ici.

En sept étapes

Article original par Luke Yulian Matteo ; traduit par LAbare / Florïan Lorenzetta

Thèmes : aromantisme, désir, anxiété, anarchie relationnelle.

(CW : aphobie intériorisée dans la section IV)

I.
Parfois, quand tu rencontres une nouvelle personne et que tu l’apprécies, une émotion naît quelque part en toi.
Cette émotion, elle veut quelque chose, et elle a peur de quelque chose.

Tu brûles d’envie de faire connaissance et de te rapprocher de cette personne. Tu veux la prendre dans tes bras, l’embrasser, partager ton temps avec elle.
Peut-être même que tu voudras coucher avec elle.
(Coucher avec elle au sens où toi, tu l’entends.)
Tu veux en savoir plus sur elle. Tu veux la découvrir.
Tu veux te laisser emporter.

C’est la
sensation de fourmillement dans tout le corps, un frisson qui te parcourt entièrement. Tu te dissipes, comme si tu allais t’envoler d’un instant à l’autre, et quelque chose de presque indescriptible te serre le cœur.

Et tu as peur, mais en bien.
Parce que tout ça, c’est nouveau et c’est incertain et que
tendre la main vers l’autre, ça pourrait exprimer tant de choses
ou si peu
et tu n’en vois pas encore les limites.
C’est la peur fébrile que provoque l’excitation, et c’est exactement ce que tu ressens :
de l’excitation.

parce que tu es amoureuxe.

II.
Parfois, tu fais ta vie tranquille, quand soudain, une émotion que tu ne connais que trop bien vient te frapper.
Un jour, ta mère t’a demandé depuis quand tu ressens ça, mais d’aussi loin que tes souvenirs remontent, l’anxiété a toujours été à tes côtés.
Cette émotion, elle a peur de la moindre chose, elle panique au moindre imprévu, et elle te fait ruminer sur le moindre petit détail de ta vie, encore et encore.
Une agitation inquiète, nerveuse.

Tu assistes à ton tout premier cours à l’université, un cours de culture anglaise, et læ prof lance une question à la classe : quels liens existent entre la langue et la culture ?
Tu veux répondre, tu veux participer,
(chaque langue et chaque communauté a ses propres mots pour exprimer ses propres concepts
mettre un mot sur un concept, c’est lui donner corps, le rendre tangible)
et tu ne tiens pas en place.

Anxiété
[ɑ̃ksjete], substantif féminin
La sensation de fourmillement dans tout le corps, un frisson qui te parcourt entièrement. Tu te dissipes, comme si tu allais t’envoler d’un instant à l’autre, et quelque chose de presque indescriptible te serre le cœur.

Cette façon qu’elle a de t’emprisonner, c’en est presque douloureux.

(Elle ne t’emprisonne pas tout le temps.)
Parfois, quand même, c’est presque rassurant de savoir qu’elle est toujours là, avec toi.

III.
C’est drôle, non ? En allemand, iels ont le même mot pour dire qu’on est fébrile ou qu’on est nerveuxse :
aufgeregt

IV.
Tu te répètes que si tu es fébrile,
c’est parce que tu es amoureuxe.

Tu te répètes que tu es amoureuxe,
puisque tout le monde finit par tomber amoureuxse,
et si ce sentiment n’est pas de l’amour, alors c’est quoi ?

C’est tout naturel que tu brûles d’envie de trouver l’amour,
tout comme c’est naturel que les gens brûlent d’envie de faire l’amour
(mais toi, tu es ace)
et tu sais que certaines personnes sont aromantiques
(mais pas toi)

Après tout,
si tu te sens bien quand tu lui tiens la main, si ça t’apporte du réconfort de parler de ta copine,
si ça t’apporte du bonheur de lire des histoires de couples,
si toutes les histoires que tu écris sont des histoires d’amour
— alors même si tu es queer, bizarre, et incapable de tenir en place, sur ce point-là au moins, tu es comme les autres,
et c’est l’essentiel.

V.
Tu as découvert cette expression par hasard,
anarchie relationnelle
et tu ne sais pas encore très bien ce que ça veut dire, mais il y a quelque chose dans ces mots qui t’attire.

Ça faisait longtemps que toutes ces étiquettes que les gens utilisent pour décrire leurs relations te gênaient, te bloquaient,
parce qu’elle n’avaient pas de sens à tes yeux
parce que tu es pan, tu es ace, tu es polyamoureuxe
et ces étiquettes, elles n’ont jamais été faites pour toi de toute façon
parce qu’elles apportent leur lot d’attentes
(auxquelles tu ne saurais jamais répondre, tu le sais bien)
parce qu’elles impliquent de hiérarchiser les gens qui font partie de ta vie
parce qu’elles n’ont simplement. pas de sens à tes yeux.
C’est ce que tu en as conclu.

Tu as toujours ta copine, et on dirait que tout va bien.

VI.
Comment est-ce que tu peux bien comprendre ton identité,
quand le seul indice à ta disposition, c’est l’absence de quelque chose que tu n’as jamais connu ?

VII.
Tu es aromantique.
Tu es aromantique et tu te demandes pourquoi il t’a fallu si longtemps pour t’en rendre compte,
alors qu’il y avait autant d’indices, alors que c’était si évident ?

(Tu sais très bien pourquoi.)

Parce que même quand tu as commencé à t’en douter, tu refusais de voir la vérité en face.
De toutes les identités queers,
alors que tu es trans et poly et ace et pan et genderqueer
c’est d’être aromantique qui t’a demandé le plus de temps à accepter.

Tu te demandes :
comment est-ce que tu as pu croire que la peur et l’excitation, c’était la même chose ?
et comment est-ce que tu as pu ne pas voir que l’anarchie relationnelle, c’est un choix

qui n’est pas intrinsèquement lié à un sentiment d’aliénation

Mais ça y est, tu y es.

Tu es aromantique, avec fierté.

Tu es aromantique, et surtout :

jamais tu ne t’es sentî aussi libre.