Pour la semaine de visibilité du spectre aromantique (du 16 au 22 février), nous avons publié en avant-première des articles du numéro sur l’aromantisme, que vous pouvez retrouver ici.

De la maternité, du nucléaire, et d’autres sujets en lien

Article original par Amanda Amos ; traduit par LAbare / Florïan Lorenzetta

Thèmes : asexualité, maternité, injonction au sexe.

Dire que ma relation à la maternité est compliquée, c’est comme dire que le nucléaire présente quelques risques.

D’une part, j’ai une mère extraordinaire dont la mère est extraordinaire, et j’adorerais poursuivre cette lignée tacite de femmes qui élèvent la prochaine génération de filles pour qu’elles soient bruyantes, intelligentes et drôles, et qu’elles s’assument. Mais d’autre part, l’idée qu’un homme puisse m’accepter avec tous mes défauts, mes excentricités et ma sexualité, ça me semble parfois invraisemblable.

Non pas que je ne puisse pas être mère sans la présence d’un homme, ou sans rapport sexuel, rien de tout ça. À l’âge tendre de treize ans, je me suis mise à faire l’éducation d’amies’ aux parents absents ; c’était avant que je ne sache quoi que ce soit sur les garçons, le sexe, ou ma propension à éviter ces deux choses. Mais maintenant que j’ai grandi et que j’ai découvert qui je suis, maintenant que je sais ce que je veux dans la vie, même si je ne sais pas encore comment atteindre mes objectifs, ces rêves semblent ne pas coller à la réalité du quotidien.

Mon corps peut donner la vie. J’en suis assez certaine. Ma mère était si douée pour donner naissance qu’elle l’a fait trois fois par accident. Deux de ces fois (j’en fais partie, coucou !), elle était sous contraception. Sa mère, c’est-à-dire ma grand-mère, a eu des surprises similaires. Je veux faire l’expérience de la grossesse. Je n’ai pas toujours eu cette envie, mais je veux que mes propres enfants naissent d’un amour et d’un respect profonds et mutuels.

Le problème, c’est que le corps féminin est un objet sexuel, et rien de plus. Bien sûr, les mentalités changent. De jour en tendre jour, l’image des femmes se redéfinit dans la conscience collective. Le mouvement a commencé dans les campus des facs et dans les médias progressistes, s’est glissé dans les lycées, et, espérons-le, continuera de se répandre par tous les moyens de communication, jusqu’à ce que je puisse enfin être vue sans que mes hanches ou ma taille ne soient applaudies pour leur attrait.

Mais comme pour toutes choses, la lutte est deux fois plus dure pour les femmes queers. L’immense majorité de la réflexion des mouvements queers et féministes se concentre sur la réappropriation de la sexualité féminine pour permettre aux femmes d’être aussi libres sexuellement qu’aux hommes. Et ce terrain gagné par la lutte est nécessaire et nous était dû depuis longtemps, mais en tant que femme asexuelle, le fait de concentrer les mouvements sur ce point m’écarte de la lutte. La communauté affirme se battre pour le droit des femmes à avoir des rapports sexuels, ou à ne pas en avoir, tout étant question de choix, mais bien trop souvent la réflexion ne porte que sur la première partie de cette affirmation. C’est déjà assez dur comme ça d’être reconnue au sein de ma propre communauté. Et si ce mouvement à la pointe du progrès social vient à peine d’en arriver à la conclusion évidente que les femmes trans ont leur place dans ce mouvement, combien de temps va-t-il leur falloir pour accepter mon corps tel qu’il est ? L’asexualité n’est que peu prise au sérieux, considérée soit comme imaginaire soit de peu d’importance. Tant que la communauté LGBT autour de moi continuera de me dire que je ne suis qu’une alliée, que je n’ai pas ma place dans la lutte, que je suis dans un couple hétérosexuel alors que je répète encore et toujours que « Je ne suis pas hétérosexuelle ! », je ne peux pas en vouloir à celleux en-dehors de la communauté de ne pas comprendre mon identité.

Une difficulté supplémentaire avec l’asexualité, c’est qu’il s’agit d’un spectre qui a tendance à être bien plus vaste que pour les autres sexualités. C’est une expérience totalement individuelle : vous ne croiserez presque jamais deux personnes qui vivent leur asexualité de la même manière. Moi, je n’ai ni sentiment positif, ni sentiment négatif sur le sexe. C’est quelque chose qui ne me traverse même pas l’esprit. La romance qui part d’une amitié et qui nait d’une compréhension et d’un respect mutuels pour fonder une famille, ça, par contre, c’est mon rêve le plus tendre et le plus profond. Être acceptée par les potentiels candidats au mariage devient une partie de roulette russe dans laquelle la seule cible, c’est mon cœur d’artichaut. Être acceptée par d’autres personnes queers, c’est presque comme tirer à pile ou face pour savoir si elles vont reconnaître ma présence dans leur groupe depuis tout ce temps, même si elles pensent que je n’y appartiens pas.

Mes hanches sont faites pour me balancer quand je veux exprimer mon impatience. Mes mains sont faites pour gesticuler à leur gré, et ma bouche est faite pour crier, pour crier plus fort que toute personne qui essaie de noyer nos paroles, de nous faire taire moi et mes adelphes. Un jour, je choisirai de permettre à mes hanches saillantes de s’adoucir et d’étirer ma peau pour accueillir une nouvelle vie. Je porterai des enfants, je leur apporterai des jouets, et je porterai l’espoir d’une enfance que ma mère m’avait apportée. Mes doigts tachés d’encre plongeront dans la pâte à modeler, et je raconterai des histoires qui apporteront de l’espoir non seulement aux enfants sans nom à travers le monde entier, mais aussi à mes enfants au moment de les coucher, avant même qu’il ne puisse leur venir à l’esprit la peur des monstres tapis dans les placards dans lesquels iels n’auront jamais à se cacher.

Mon corps sera vide, et je serai asexuelle. Mon corps donnera naissance à une toute nouvelle personne, et je serai asexuelle. Il en a été ainsi aussi loin que je me souvienne, et il en sera ainsi jusqu’à ce que je doive l’oublier.