Pour la semaine de visibilité du spectre aromantique (du 16 au 22 février), nous avons publié en avant-première des articles du numéro sur l’aromantisme, que vous pouvez retrouver ici.

Un parcours

Article original par Kylie Wood ; traduit par LAbare / Florïan Lorenzetta

Thèmes : asexualité, aromantisme, queerphobie, pression relationnelle.

« Ça fait une éternité qu’on ne s’est pas vues ! » s’écrie une tante, alors qu’on s’est croisées il n’y a même pas un mois lors d’un barbecue.

Une autre me fait des compliments : « Tu es devenue une si belle jeune femme… tu ressembles comme deux gouttes d’eau à ta mère. »

« Quand est-ce que tu nous ramènes un garçon à la maison ? »

Ma grand-mère pose toujours la même question à chaque fois que je vais chez elle.

Voilà à quoi ressemble pour moi chaque réunion de famille : alors même qu’on se voit régulièrement, le fait que je n’amène jamais de petit ami à ces rencontres crée de la gêne chez mes proches. Iels ne sont certes pas aussi ouvertement suspicieuses’ que ma mère, qui lance des remarques homophobes au dîner et qui fait des paris sur ma sexualité, mais je sais qu’iels murmurent quand j’ai le dos tourné. Je sais qu’iels parlent de moi au téléphone, à marmonner à propos de péchés et de l’Enfer. Je fais semblant de ne rien entendre, pour leur bien et pour le mien, parce que c’est plus simple de rester silencieuse que d’essayer d’expliquer mon manque d’intérêt pour toute chose romantique ou sexuelle à des gens qui croient en des horreurs dont je n’écrirai pas un seul mot.

Ce n’est pas simple d’expliquer la frustration que je ressentais en primaire, lorsque mes parents me taquinaient à propos de mon meilleur ami, un garçon avec qui je partageais tout. On se gardait la place dans le bus, on poussait l’autre à tour de rôle sur la balançoire, et on s’écrivait même des lettres parce qu’on n’avait pas de portables. À chaque fois que je parlais de lui à mes parents, la simple mention de son nom me valait d’entendre en boucle chaque vers de cette comptine qui dit « Machin et Machine sont sur un arbre et se font des B-I-S-O-U-X ! ». Je m’énervais face à leurs accusations, parce qu’iels ne me croyaient jamais quand je disais que nous étions juste amies’. Iels ne m’écoutaient jamais, balayaient mes arguments d’un revers de main en riant et en rétorquant de manière désinvolte que si j’étais aussi défensive, c’est que j’avais honte d’être attirée par quelqu’un. À l’époque, je ne comprenais rien à l’amour, pour moi tout le monde était potentiellement une’ amie’. Je pensais que les gens qui tombaient amoureuxses étaient bizarres, parce que tout ce qu’iels faisaient, c’était rompre après un ou deux jours et puis se détester. Je n’ai jamais été attirée par personne en primaire.

Au collège, c’était étrange. En sixième, j’essayais d’être amie avec des gens qui se fichaient de mon existence. Je portais des vêtements que je n’aimais pas, j’étais celle qui fonçait acheter des gâteaux pour tout le monde pendant les matchs de basket, et j’allais aux toilettes en groupe. Je ne suis sortie avec personne, et je me suis mise à détester le déroulement vicieux de chaque histoire de couple. Les préados qui roucoulent, les baisers baveux et les mains qui se cherchent maladroitement, les textos à longueur de journée, les blablas sans fin pour dire que Machin est vraiment parfait, les questions qu’on me posait parce que je n’avais pas de petit ami, les cris et les pleurs lorsque les amours tournent à la haine. Ça se finissait toujours de la même manière, à écouter les autres filles se lamenter de ne pas être comme moi, complètement l’inverse de lorsqu’elles étaient en couple. J’en avais tellement marre qu’à partir de la cinquième, j’ai arrêté de traîner avec elles. J’ai retrouvé mon ami d’enfance cette année-là, nous avions été séparées’ pendant longtemps dans des écoles différentes, et d’un seul coup tout le monde parlait de nous deux. Tout comme mes parents avant elleux, iels ragotaient sur le fait qu’on se partageait nos écouteurs, qu’on était toujours ensemble et qu’on s’asseyait côte à côte. Ce fut une année de plus à réfuter des rumeurs, refuser des questions et des avances. Je me sentais toujours mal de dire non à un garçon, parce que je n’avais pas de réponse claire quand il fallait expliquer pourquoi. Je ne pouvais pas juste dire que je ne savais pas, que je n’avais pas ce genre de sentiments pour quiconque.

La quatrième et la troisième passèrent comme un coup de vent. Encore à devoir refuser les avances de garçons dans ma classe, encore des rumeurs, mais qui avaient évolué pour dire que j’étais lesbienne. Encore ma famille qui demande que je ramène un petit ami à la maison.

En seconde, j’ai craqué. Je voulais juste que les gens me laissent tranquille, donc lorsqu’un garçon que j’avais rejeté au collège m’a refait des avances, cette fois-ci j’ai dit oui. Il était gentil et il aimait les mêmes films et musiques que moi, donc si je devais être en couple avec quelqu’un, je me suis dit que ce serait avec quelqu’un comme lui. Ça se passait pas mal, en gros, il était adorable, il me tenait la porte et disait que j’étais mignonne. On se tenait la main en entrant en classe, et on posait la tête sur l’épaule de l’autre dans le bus. Tout allait bien, puis au bout d’un mois, il m’a dit qu’il m’aimait. C’était soudain, et prise par surprise, dans la confusion, j’ai bredouillé la même chose. En rentrant chez moi ce jour-là, je me sentais perplexe et un peu inquiète. Je ne savais pas ce signifiait cet amour. J’avais de l’estime pour lui en tant que personne et j’étais reconnaissante envers lui pour ses sentiments, mais est-ce que je voulais passer le restant de mes jours avec lui ? J’ai ruminé pendant pas moins de quatre mois. Je détestais lui dire « moi aussi je t’aime » et l’embrasser sur la joue. Je détestais ses regards d’adoration. Je me détestais. Et donc, un jour, à l’entrée du cours d’introduction à l’analyse, au début de notre année de première, j’ai rompu notre relation. Je lui ai demandé si on pouvait rester amies’, mais je n’ai jamais eu de réponse… ni d’occasion d’expliquer quoi que ce soit. Il était comme figé sur place, muet pendant un moment, puis il est parti. Il ne m’a jamais reparlé et demandait à un ami de le conduire chez lui pour ne pas avoir à prendre le bus et pouvoir m’éviter. Je n’ai jamais pu lui dire qu’il méritait quelqu’une’ qui l’aimerait en retour. Quelqu’une’ qui le regarderait avec la même passion que lui avait pour moi. Au lieu de quoi, j’ai entendu des rumeurs circuler après notre rupture, disant que j’étais cruelle. Je n’ai pas protesté, parce que c’était un peu vrai. J’avais utilisé ce pauvre garçon pour me défendre contre les accusations de ma famille et de mes amies’, mais au final ça n’avait fait qu’empirer les choses.

Comment est-ce que j’avais pu me séparer de quelqu’un d’aussi beau et d’aussi intelligent ?

Les gens se sont confortés dans leurs opinions, et pas besoin de vous dire tout le mal qu’iels pensaient de moi.

Lors du deuxième semestre de première, j’ai enfin compris ce que je ressentais, ou du moins en partie ; qui peut vraiment tout comprendre de soi-même ? J’ai appris l’existence des spectres aromantique et asexuel, et tout prenait sens. J’ai discuté avec des gens comme moi sur des forums et sur Twitter, des gens qui partagaient leurs histoires et leurs connaissances, et qui m’ont aidée à comprendre qui je suis. J’ai trouvé le courage d’en parler à mes amies’ et de le mentionner dans mes profils sur les réseaux sociaux. Toutes les personnes qui sont au courant me soutiennent, mais tout le monde n’est pas au courant. Ma famille ne sait toujours rien et continue de se faire de fausses idées et de parler dans mon dos, mais je sais qui je suis.

Je suis Kylie, lycéenne, j’adore les pizzas, les nouilles ramen et les slushies. Je suis Kylie, une fille qui adore écrire et coder. Je suis Kylie, future étudiante en animation par ordinateur. Je suis Kylie, fière d’être AroAce.